A l'occasion du 11e symposium de l’International Society for the History of Radiology – ISHRAD, Cracovie 7-8 octobre 2022, le Centre Antoine Béclère et la Société Française de Radiologie souhaitaient rappeler la figure, l'homme emblématique, le chercheur, le pionnier que fut pour la Radiologie en France Antoine Béclère.
Antoine Béclère (1856-1939)
Années de jeunesse, les études médicales, l'Internat
Né à Paris le 17 mars 1856 dans une famille originaire de Bresse et de Saône-et-Loire (Mâcon), fils de médecin, il est marqué adolescent par la guerre de 1870. Habitant chez ses parents, rue Saint-Martin à Paris, il fait ses études secondaires au lycée Bonaparte qui sera ultérieurement le lycée Condorcet. Excellent élève, il obtient de nombreux prix scolaires. Plus tard il hésitera entre l'Ecole Normale, l'Ecole Polytechnique et la Faculté de Médecine.
Externe des hôpitaux en novembre 1875 il fait son service militaire d'une année à Lille et se lie d'amitié avec Charles Walther et Armand Siredey ainsi qu'avec Henri Moissan futur prix Nobel. Ces trois premiers camarades seront les tous trois présidents de l'Académie de médecine. Son externat débute à Beaujon le 1er janvier 1877 puis l'internat en 1878 à l'hôpital Saint-Louis ; il s'intéresse à la dermatologie et à l'ophtalmologie.
Les années d'internat : reçu en 1877,13ème à l'âge de 21 ans. Il passe des années inoubliables avec ses amis de « sous-colle » : Arnold Netter, Anatole Chauffard, Guéneau de Mussy, Mossé. Ultérieurement parmi les nouveaux amis, Auguste Ledoux-Lebard sera celui de toute sa vie. En 1882 il travaille en Pédiatrie, aux Enfants Malades, analyse, comprend l'incubation, la contagion de la rougeole, responsable d'une mortalité effroyable à l’époque, et en fait son sujet de thèse. Il devient aussi le spécialiste de la trachéotomie aux Enfants Malades, geste indispensable dans les cas de diphtérie grave.
Antoine Béclère rêve d'un service à l'hôpital, il est nommé en 1893 Médecin des hôpitaux (concours). Il a épousé en 1887 Cécile Vieillard Baron. Le couple a trois enfants, Marie, Claude et Antoinette. Ses loisirs sont occupés par des randonnées à bicyclette, des marches en montagne ou des séjours en station thermale dans les Vosges. Il fréquente également les concerts Lamoureux et se passionne aussi bien pour Berlioz que Wagner.
La vie professionnelle
Antoine Béclère donne tout son temps aux recherches expérimentales, qui le passionnent. En 1894 il traite un Addisonnien par des glandes surrénales animales fraîches. De 1892 à 1900 il travaille sur l'immunité vaccinale et démontre que le sérum de génisse vaccinée possède un pouvoir immunisant contre la vaccine. Il comprend l'immunité, la résistance à l'infection après la maladie ou la vaccination. De même pour le myxœdème, il essaie un traitement par glandes thyroïdes de mouton et décrit le Basedow expérimental provoqué. Trois mémoires illustrent dans les Annales de l'institut Pasteur ses travaux publiés en décembre 1895, et développent les principes de la prophylaxie. Le célèbre auteur et médecin anglais Lister est intéressé par ses travaux. Ultérieurement il est considéré comme le fondateur de la Virologie et de l'Immunologie modernes.
En 1931 âgé de 75 ans il reprend ses études expérimentales et réussira l'inoculation de la syphilis à l'espèce bovine. Ses recherches sont également centrées sur le papillome de SHOPE et la sérothérapie de la grippe.
Le 8 novembre 1895, Wilhelm Conrath Röntgen découvre les rayons X avec un tube de Hittorf-Crookes et réalise la première radiographie de la main sur lui-même, et sa femme, le 22 décembre 1895. La communication faite le 28 décembre de la même année à la Société Physico Médicale de Würzbourg soulève curiosité, scepticisme et un élan évident dans le monde entier pour cette « nouvelle espèce de rayons ». De multiples articles dans la presse mondiale paraissent en quelques jours dès le mois de janvier 1896.
En France Antoine Béclère assiste à une expérience faite par ses amis, les Drs Oudin et Barthélémy, de scopie sur le thorax d'une personne âgée, et s'émerveille des mouvements du cœur, de l'aorte, et du diaphragme.
Antoine Béclère comprend immédiatement la portée considérable de ce nouveau mode d'investigation. Très méthodique il prend des leçons de physique à l'Ecole Centrale et va examiner ses patients au tout début chez Paul Oudin, avant une installation de Radiologie -scopie chez lui, 5 rue Scribe. La première exposition radiologique est de 30 minutes et permet de démontrer un « superbe » hydropneumothorax. Antoine Béclère, pédiatre, clinicien réputé, est nommé le 1er janvier 1897 Chef de service à Tenon et créé dans son service de médecine générale le premier laboratoire hospitalier de radiologie. Tous les patients entrant ont leur thorax examiné à l'écran. Il est le promoteur du dépistage de la tuberculose pulmonaire.
Le 5 février 1897 lui-même et ses amis Oudin et Barthélémy présentent une communication à propos de l’anévrisme de la crosse de l'aorte, détecté par radiologie standard. Il présentera des séries de communication sur la radiologie diagnostique des organes intrathoraciques, aorte, plèvre, cœur, poumons médiastin (Société Médicale des Hôpitaux de Paris). Dès cette année 1897 il organisait un enseignement libre, régulier de Radiologie Médicale le premier en fait sur le plan mondial. Cet enseignement sera poursuivi durant 30 ans de Tenon à Saint Antoine puis à l'Hôpital Militaire du Val-de-Grâce durant la guerre 14-18 et ensuite à la fondation Curie jusqu'en 1927.
L'appareillage radiologique est à créer, Antoine Béclère fait réaliser à Drault un générateur électrostatique qui peut être déplacé et sera diffusé dans le monde entier.
Le service de Saint-Antoine n'a pas l'électricité, la bobine de Ruhmkorff est alimentée par accumulateurs, qu'il faut faire recharger. Les premiers clichés seront des radiographies sur verre et ceci pendant de nombreuses années. Dès 1899 il écrit que chaque hôpital doit être pourvu d'une salle d'examen radioscopique ouverte à tous les cliniciens et aussi d'un laboratoire de Radiologie. Ces écrits Princeps (Traités) sont publiés chez Baillière en 1899 : rayons X et tuberculose - En 1901 : rayons X et affections thoraciques non tuberculeuses. En 1902 le 3e volume est consacré aux rayons Röntgen et au diagnostic des maladies internes.
En 1912 il commence à décrire la Radiologie du tube digestif et ceci jusqu'en 1914, de l'œsophage, à l'estomac au grêle et cadre colique. Saint Antoine est donc considéré déjà comme le temple de la radiologie gastro-entérologique. Durant cette période 1902 -1912, tous les grands syndromes radiologiques de la pathologie digestive sont décrits.
Les premières notions de radiothérapie : 1902- 1908.
Des 1896 Freund et Schiff à Vienne décrivent des effets d'épilation sur la peau en cas d'application des rayons X sur les dermatites. Barthélémy et Darier signalent des accidents cutanés et viscéraux pour les utilisateurs de ces rayons Röntgen. Dès 1901 Antoine Béclère commence à enseigner la radiothérapie à Saint-Antoine et sera un précurseur dans les mesures de doses. Il étudie le Radio-chronomètre développé par Holzknecht à Vienne qui permet de quantifier les rayons délivrés sur la région à traiter, 1904. Ces aspects thérapeutiques sont développés aussi bien à son domicile, qu'à Saint-Antoine dans le cas de la radiothérapie des cancers cutanés, du sein, du col utérin, et autres sarcomes. Puis il est aussi l'initiateur de la radiothérapie des ganglions, des adénopathies, splénomégalie et myomes utérins et découvre la sensibilité aux rayons X des séminomes testiculaires et de leurs métastases éventuelles à distance (communications à Lyon en 1914, et publications en 1916) Antoine Béclère démontre l'intérêt des doses fractionnées répétées, par rapport à une dose massive. En 1908 il obtient la guérison d'une tumeur de l'hypophyse chez une jeune fille de 16 ans traitée par irradiation pour adénome de l'hypophyse.
Son activité scientifique est très intense en cancérologie pendant 40 ans jusqu'à la fin de sa vie (publications).
L'enseignement est pratiqué en matinée avec scopie et graphie pour les patients et cours associés avec les spécialistes d'organes. Cours réguliers biannuels et leur mise en place essentiellement en octobre novembre et à Pâques, durant plusieurs semaines.
Tenon : 1897-1898
Saint Antoine : 1899-1914
Val de Grâce : 1914-1919
Saint Antoine : 1919-1922
Fondation Curie : 1922-1927
La guerre 1914-1918
Il est intégré à 58 ans comme Médecin Commandant, Directeur du service de Radiologie et Physiothérapie à l'hôpital du Val-de-Grâce. L'enseignement est poursuivi pendant toute la guerre. Il procède à l'équipement de voitures radiologiques assisté par Georges Haret et Marie Curie.
Il organise la Direction de l'Inspection des Laboratoires de Radiologie du camp retranché de Paris et de son gouvernement militaire (Seine-et-Oise, Oise, Seine-et-Marne) et assure le fonctionnement de 120 laboratoires créés dans les hôpitaux militaires dépendant de son secteur d'action. Georges Haret lui développera les Services de Radiologie aux armées. Le nombre de radiologues est notoirement insuffisant, le Ministère de la Guerre fait appel à lui entre 1916-18 et 260 nouveaux radiologues sont instruits sur un total de 380 tous formés au Val-de-Grâce. Il poursuit toujours, en même temps, pendant la guerre ses activités à Saint-Antoine. Sont conservés de cette époque bibliothèque, collections, moulages, photographies, avec déjà l'idée d'un musée Radiologique-Radiothérapie. Après la guerre il reprend l’enseignement à Saint-Antoine et assurera ce dernier jusqu'en 1921 date de sa retraite. Il poursuivra ensuite à Curie jusqu'en 1927. L'enseignement est également dispensé par d'autres Médecins des Hôpitaux. En 1907 est créée l'Association de l'Enseignement Médical des Hôpitaux de Paris, préfigurant l'actuel Collège de Médecine des Hôpitaux de Paris, le premier président sera Just Lucas, puis Antoine Béclère. En 1917-18 les Etats-Unis entrent en guerre, les radiologues américains connaissant déjà Antoine Béclère et vont lui rendre visite de même que les radiologues canadiens. Rappelons que la guerre permet par le biais des radiographies et scopies de progresser dans les dégâts osseux essentiellement et les fragments métalliques, éclats d'obus et autres balles dans les corps des soldats.
Fondation de la société de radiologie médicale à Paris
Le 10 décembre 1908 A. Béclère réunit chez lui au122, Rue de la Boétie un groupe d'amis, de radiologistes en vue de la création de la société. Les Prs Vidal et Chauffard sont présents, le Pr Villard, Antoine Béclère est président-fondateur. Sont également participants et présents Georges Haret, H Guilleminot, Poupin, P Aubourg, J Belot, Bouchacourt, Darbois, A Delherm, F Jaugeas, L Laquerrière, Lenglet, A Zimmer et l'ami de toujours René Ledoux-Lebard. En 1912 elle devient la Société de Radiologie Médicale de France. En 1914, 254 membres sont déjà inscrits avec correspondants étrangers prestigieux, Albers Schöenberg de Hambourg et Guido Holzknecht de Vienne. En 1937 le nom est celui de Société d'Electro Radiologie médicale de France puis en 1947 société Française d'Electro Radiologie Médicale. 432 membres composent cette société en 1932 ; actuellement c'est la SFR Société Française de Radiologie Médicale Diagnostique et Thérapeutique depuis 2012. La société décide aussi de la création du Journal de Radiologie et d’Electro radiologie.
En 1908 Antoine Béclère est nommé membre de l'Académie de Médecine le 4 février. Cet homme a une vie simple, faite de travail, infatigable, avec des loisirs peu nombreux. Il traduit le traité d’Holtzknecht en 1901 de l’allemand en français et l’ouvrage de Francis William de Boston en anglais sans connaître aucune des deux langues. En 1913 il est amputé de quatre doigts pour radiodermite.
Années 1919- 1939 vie familiale, activités professionnelles
Activités reprises à Saint-Antoine à temps plein. Il participe, avec Marie Curie et Claudius Regaud, à la création de la Fondation Curie qui fonctionne dès 1921. Il transfère tous ses dossiers, ses données, bibliothèque et autres ainsi que la machine de Drault à son départ à la fondation Curie. En 1925 se crée le Premier Congrès International de Radiologie où lui-même milite pour l'unification internationale des mesures de dosage Röentgen (Londres). Carlos Jensen (Argentin) présente une première injection de lipiodol d'une cavité utérine et des trompes de Fallope, il s'agit de la première hystérographie, son fils Claude va développer ultérieurement largement la technique. En 1928 le 2e Congrès International a lieu à Stockholm où sont publiés les statuts des Congrès Internationaux Radiologiques et la commission exécutive qui organisera ces congrès tous les trois ans.
En 1931 troisième Congrès International à Paris, le président est Antoine Béclère. Il reçoit le titre de docteur honoris causa de l'université de Zurich, de Prague, et de Londres. Ce congrès réunissant 1340 membres titulaires est un très grand succès. L'exposition d'appareils radiologiques radiogènes a lieu Porte de Versailles. En 1934 le 4e congrès a lieu à Zurich, puis en 1937, le 5ème congrès à Chicago où Antoine Béclère adressera un discours enregistré.
En 1931 il continue ses travaux de recherche sur la syphilis, la pathogénie du cancer, la sérothérapie antigrippale et il pense à une éventuelle origine infectieuse des cancers. En 1936 il s'agit de son 80e anniversaire, de son jubilé scientifique, il reçoit un Fortschrift en trois volumes offert par les radiologues de 29 pays. En 1937 ce travailleur infatigable publie une étude sur Descartes et la Médecine, à l’Académie de Médecine. Pendant sa dernière année il est toujours très actif et décède devant ses enfants le 24 février 1939 d'une défaillance cardiaque brutale.
Titres, prix et distinctions d'Antoine Béclère
Récipiendaire de nombreux prix, distinctions, et médailles. Lauréat de l'Académie de médecine 1905-1906. Chevalier de la Légion d'honneur 1911. Officier de la Légion d'honneur 1918. Commandeur première classe de l'ordre royal de l'Étoile Polaire 1932. Commandeur de la Légion d'honneur en 1936. Président de l'Académie de médecine en 1928.
Création du Centre Antoine Béclère à Paris - Réunions internationales de la Radiologie
Le centre est créé par Claude et Antoinette Béclère en 1950 en mémoire de leur père pour poursuivre, soutenir le rayonnement international de la radiologie, de l'imagerie. Cette création est appuyée par le comité exécutif du 6e Congrès International de Radiologie à Londres et les multiples présidents des délégations de nombreux pays. Il s'agit de promouvoir la Radiologie Imagerie dans le monde, Diagnostique et Interventionnelle.
Les moyens d'action et les buts : bibliothèque, fichiers, bulletins d'informations l'histoire de la radiologie, le musée. Bourse régulièrement délivrée tous les ans.
Les moyens financiers : apportés par les cotisations et le soutien de la Fondation de France.
Le Précurseur et Fondateur
Antoine Béclère est un homme curieux, travailleur sans relâche tout au long de sa vie. Il fait preuve de ténacité, d'une probité exemplaire, c'est un chercheur, un médecin et un homme de grande bonté. Il est caractérisé par son altruisme, sa dignité, il sera précurseur et modèle du maître. C'est à la fois un très grand clinicien et un Radiologue de renom. Son rôle a été capital en France dans le développement de la Radiologie, son importance est telle que sa vie, son œuvre, ses découvertes ont été fondamentales aussi bien en Endocrinologie qu’en Radiologie et surtout indispensables aux patients. Il s'agit de l'une des grandes ou des plus grandes gloires, de la médecine française. Son aura est immense et balaie l'ensemble de la Radiologie, de l'Imagerie depuis des dizaines d'années.
Denis Krausé, Frédéric Roz